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Une difficulté n'est pas indélébile

Article paru dans le Quand-Quand

L’audace de l’instruction pour des enfants différents

Article paru sur le site http://www.enfant-different.org

 

Je suis entrée dans la vie professionnelle il y a 30 ans. J’ai commencé par exercer la profession de professeur des écoles, puis celle de professeur des écoles spécialisé dans les troubles des fonctions cognitives passionnément. J’ai été et je suis de plus en plus convaincue que, quel que soit le degré de développement de l’intelligence que possède l’enfant, les progrès sont à sa portée.

Aujourd’hui, j’ai créé un espace où l’instruction de ces enfants différents est la priorité. Je me situe donc en complément du corps enseignant, comme une aide que je peux apporter au système qui, de part sa vocation collective, ne dispose pas des moyens permettant de travailler au plus près des besoins particuliers de l’enfant, voire même à la limite d’une sorte de préceptorat. Comment j’aborde la relation avec un enfant en difficultés scolaires ou porteurs de handicap cognitif ?

Être persuadée de sa capacité à évoluer, à s’élever et, de ce fait, occuper une place meilleure dans notre société que celle qu’il aurait. De mes paroles et de mon discours d’intention découlent mes actes et le suivi nécessaire.

La première des conditions pour aborder cette relation est de porter en soi la conviction de la valeur de l’être que l’enfant représente. Je me situe par-delà les a priori et les modèles stéréotypés de réussites que présente notre société. Après tout, c’est quoi réussir sa vie ?

Souvent, je me demande si, à l’heure du bilan final, ma vie aura plus de valeur que celle d’un jeune trisomique qui distribue de la bonne humeur à tous ceux qu’ils croisent ou de celle d’un jeune autiste qui m'invite à me rapprocher de l’essentiel de mon être à chaque rencontre ?

La seconde de ces conditions est de bien connaître :
- d’une part, les différentes étapes de développement cognitif d’un enfant afin de pouvoir situer où en est vraiment celui-ci. L’analyse qui en découle va bien au-delà de son âge civil et du niveau scolaire qui devrait lui correspondre ;
- d’autre part, les caractéristiques des différents diagnostics émis par le secteur médical afin d’en tenir compte lors de la remédiation scolaire (Ex : dans le cas d’un enfant porteur d’autisme, privilégier les supports visuels ; dans celui d’un enfant ayant des troubles de l’attention, veiller à ce qu’il ait les mains en action…) ;
- et enfin, de bien connaître les outils pédagogiques et l’utilisation qui peut en être faite.
Cela ne s’improvise pas !

Une information régulière, une formation spécifique et continue est nécessaire. Je cherche régulièrement dans ce qui existe déjà, et dans ce qui peut être créé ; j’adapte les différentes manières de les présenter aux enfants selon l’objectif visé. Il faut, pour cela, connaître les compétences que requiert, chez l’apprenant, chaque matériel proposé. Bien souvent, nous nous fions à ce qui est indiqué sur les boîtes de jeu mais sommes-nous sûr qu’il y ait eu une analyse des structures logico-mathématiques ou infra-logiques correspondant vraiment aux compétences des enfants? Je considère qu’il m’appartient d’analyser ce que peut mobiliser telle ou telle manière d’utiliser tel ou tel jeu, savoir : anticipation, rétroaction, mémorisation visuelle ou auditive ou même tactile, déduction, comparaison, traitement de l’information implicite, topologie, correspondance terme à terme, construction de l’objet permanent, de la conservation de la quantité…

Pour exemple, qui eut pu imaginer que le jeu du “UNO junior”, demande plus de compétences que celui des seniors ? En effet, le premier traite trois 3 critères à la fois dans la différence des points de vue pour seulement deux dans le second !

La troisième de ces conditions est celle de l’étroite collaboration entre la famille et l’enseignant. En effet, qui, mieux que ses parents, peuvent nous renseigner sur la personnalité de l’élève ? Qui, mieux que ses parents, l’accompagnent chaque jour dans la vie quotidienne à la maison ?

Il s’agit là d’une clé très importante de la réussite de cette remédiation. C’est en partant de la personnalité des enfants que je vais jusqu’à leur difficulté ou leur handicap. Je travaille avec des être vivants qui n’ont pas pour but de rentrer dans des programmes ! Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Le programme a une utilité : il permet d’établir des niveaux de compétences qui donnent des repères aux enseignants.

Toutefois, un programme idéal consisterait à s’adapter à la personnalité de chacun. Ce qui est extrêmement difficile aujourd’hui, c’est cette agression que peut ressentir une personne consciente de sa différence et de sa volonté à s’épanouir, au fait qu’une sorte d’acharnement à ne se fier qu’à des cases dans lesquelles il faut faire rentrer les enfants, prenne une telle importance.

Que devient la possibilité d’épanouissement de chacun quand l’être doit être modelé pour rentrer dans le moule communément établi pour tous ? Comment considère-t-on la différence ?
Différent est-il synonyme de déviant ?

Aider son enfant à la maison, est-ce lui faire faire des tonnes d’exercices ou de cahiers de vacances ? Accompagner les enfants vers une élévation, les élever, les faire s’épanouir, est-ce les surcharger de leçons et de devoirs ou est-ce leur donner le goût d’apprendre, d’avoir la notion du devoir et du travail compris et bien fait ?  
L’apprentissage passe par des enseignements scolaires mais ce n’est pas tout… avons nous oublié le rôle de l’ordinaire ?

A-t-on oublié que le bon sens enseigne aussi ? Savoir différencier le linge propre de celui qui est sale permet d’élaborer des différences et des ressemblances qui seront une base pour différencier des lettres comme p/q ; d/b ou encore un mot d’une syllabe, le nom d’une lettre de son son (par exemple, la lettre “R” se prononce “ère” et pourtant, le son provoqué en l’utilisant en lecture est “rrrr ”. Je vous laisse passer l’alphabet, vous allez rire…)

Se servir d’un arrosoir permet de construire la verticale et l’horizontale, fonction cognitive indispensable à la mise en place de l’espace.

Étendre la lessive, avec maman, permet de manipuler des pinces à linge et de muscler l’acte de pincer par l’opposition du pouce avec les autres doigts, indispensable à la tenue du crayon…

Passer du quotidien vécu à l’abstrait d’un concept pensé permet d’établir l’aller-retour entre l’objet et son évocation, l’évocation et l’objet.

Le trait, dessiné sur une fiche, entre un coquetier et son œuf remplacerait-il la phase tactile nécessaire pour s’approprier des notions comme le volume, le contenu, le contenant, la comparaison terme à terme, phase primordiale pour la construction du nombre et de la numération par exemple ?

La plupart du temps, dans mes bilans, apparaissent chez les plus jeunes (cognitivement parlant bien sûr !) des manques d’assimilation de cet ordre qui empêchent le cheminement vers la généralisation des concepts et leur utilisation avec une mise en sens de ce que l’enfant fait et de ce qui est attendu de lui .

Pour d'autres, ce sont des confusions totales entre des leçons et leurs applications. C’est comme s’il leur manquait, la phase intermédiaire ! Comment passe-t-on de la théorie à la pratique et réciproquement. Comment jongler avec l’implicite ? Au passage, remarquons que la déduction utilise l’invisible par rapport au visible, ne sommes nous toujours pas dans l’établissement de différences et de ressemblances ?

Comment construire l’équivalence (dite aussi différence de point de vue) ? Une même chose vue peut s’appeler, se ranger de façons différentes (1 dizaine =1 groupe de 10 = 10 unités, l’enfant voit 1=10 et ça, ce n’est pas vrai !)…

Tout mon travail de remédiatrice scolaire consiste à aider les enfants à mettre ou remettre de l’ordre dans leurs connaissances cognitives, à leur rythme et dans une relation duelle qui permet une pédagogie de détails au plus près de leurs besoins particuliers.

C’est en permettant, aussi, aux parents de se réapproprier leur rôle d’apprenant auprès de leur enfant, dans la vie de tous les jours, que les élèves retrouveront le goût d’apprendre. Pour cela, je montre à ces familles le lien entre l’ordinaire et les apprentissages scolaires afin qu’ils fassent la part des choses entre l’attention à porter à leurs enfants et les seuls critères attachés aux compétences techniques que la société définit de manière égalitaire et collective. 

 

Des enfants pas comme les autres

Article paru dans la revue REFLETS n°5

 

Il était une fois… Non, non ! Ce n’est pas une légende, ou un conte, c’est une réalité et je dois plutôt écrire qu’il existe un royaume où les habitants sont vrais, sincères et honnêtes : c’est celui des personnes porteuses d’autisme.

En 1990, je fus missionnée pour aller enseigner à des enfants de 4 à 12 ans. Mon premier contact fut une révélation sur leur mode de fonctionnement. Ne sachant pas très bien comment entamer la conversation, je demandai à l’un d’entre eux s’il avait eu beaucoup de soleil pendant ses vacances. Il se mit à réfléchir pour me répondre, après un silence posé :  “non, il n’y en avait qu’un”. Un sourire se dessina sur mes lèvres, non pas de ceux qui se moquent mais de ceux provenant d’une bouffée de tendresse. J’ai été saisie par cette capacité me ramenant à l’Essentiel en quelques mots ; j’étais surprise par le sens que prit la banalité de ma question. Mon langage, qui se voulait social, fut ramené à ce qui est, sans fioritures, sans complaisance, au naturel de ce qui existe.

Et oui, ceux que nous dénommons autistes sont comme ça ! Leur lecture de la vie au 1er degré les rend transparents, plein de fraîcheur et de vérité. Là, où je me compliquais la vie par mes commentaires, avec des “et si… et si…”, eux simplifient et disent en vérité ce qui les habite.

Quand j’observe ma façon de faire, je me suis rendue compte que je faisais tout par intérêt. Je suis une mendiante d’amour. Que ce soit par la rentabilité, l’excellence, l’efficacité ou la passivité, j’ai besoin d’attirer l’attention, la considération, la reconnaissance. Eux, leur intérêt est passionné, sans attente en retour. Je me souviens de Tom qui me demandait : “Tu aimes les fontaines ?” et, avant même d’attendre ma réponse, il me décrivait avec précisions et poésie toutes celles de Lyon. Il me faisait voyager et déguster, là, à côté de moi, la beauté de ce que je ne considérais même pas. Par les temps qui courent, ce n’est pas très dispendieux et à la portée de tous !

Quand j’eus évoqué ce domaine avec ses parents, ils me dirent qu’il avait élaboré un parcours en voiture pour passer devant le plus de fontaines possible. C’était leur promenade du dimanche ! Comme cette famille était pleine de finesse à l’égard des motivations de leur fils “pas comme les autres”, ils me dirent un jour : “Vous savez, Tom est le plus beau cadeau que la vie nous ait donné car, sans lui, nous n’aurions jamais été aussi loin, en nous” .

Yvan, lui, se passionnait pour la famille des rois de France. Il connaissait toutes les lignées, époux, épouses et fratries ainsi que leur date de naissance.

Pour Simon, c’était les trains, les gares et les horaires. Je pourrai poursuivre la liste encore longtemps…

Pour la pédagogue que je suis, toutes leurs connaissances me servirent de point de départ à l’expression écrite, les mathématiques … toute la didactique pouvait s’y rattacher : Travailler la soustraction avec les dates historiques, depuis quand Henri IV est-il mort ?, la structuration grammaticale, le récit… avec la description des fontaines, l’heure avec les horaires de train…

Au fur et à mesure que je rentrai dans leur monde, dépouillé de sous-entendus, de stratégies relationnelles... je m’aperçus qu’ils acceptaient d’entrer dans le mien.

Les efforts qu’ils déployaient sont du domaine de l’exploit.

En effet, nous savons aujourd’hui qu’un enfant apprend par imitations, répétitions et imprégnations d’expériences vécues et réinvesties jusqu’à pouvoir accéder au sens. Ces apprentissages, base de la structuration mentale, se mettent en place principalement, de 0 à 6/7 ans. Les enfants porteurs d’autisme doivent s’adapter en permanence car le sens des choses, lié au culturel et au social, ne leur est pas accessible.

Ce n’est pas qu’ils n’ont pas d’émotions, pas de communications ; c’est que l’habillage poli ou subtil de nos comportements ou de notre langage reste une énigme pour eux.

Oui ! ils vivent dans leur bulle.
Non! Ils ne veulent pas y rester.
Il leur manque juste le mode d’emploi.

C’est alors que la communication par l’image est apparue dans ma carrière. Le principe : à une image correspond un objet, une fonction, une caractéristique, une action, un moyen d’exprimer une demande, un ressenti. Avec cette approche, j’ai vu des enfants qui criaient, ou même qui se mutilaient, stopper net ces attitudes à partir du moment où l’image leur permit d’exprimer leur demande, leur désir… J’ai vu des enfants qui ne parlaient pas encore, se mettre à parler et je me suis même aperçu qu’ils savaient déchiffrer des mots écrits.

L’empathie, les habiletés sociales, la communication, c’est comme s’ils ne savaient pas que ça existe mais ils attendent que nous leur offrions cette compréhension de l’implicite. Le chemin est long et délicat mais, quand j’emprunte ces voyages avec eux, chacun donne à l’autre. Ils m’accueillent comme je suis, avec mes maladresses et parfois, ma fatigue. Ils m’ont appris à développer des valeurs d’humanité car, avec eux, aucun risque de manipulation, d’abus de quelque nature. Ils sont, par essence, bienveillants.

Bien sûr, il y a les crises, mais j’ai appris, au fil du temps, qu’elles n’étaient pas contre moi. Elles sont l’expression de leur mal être de l’instant, qu’ils ne savent pas encore dire. Lorsque, je prenais le temps de me pencher sur ce qui c’était passé avant, j’en trouvais souvent la raison et il ne me restait plus qu’à élaborer une ou plusieurs solutions qui peu à peu permirent de les réduire, voire même les éliminer.

Mathias, lorsque je le prenais par le bras m’évinçait parfois, et s’en suivait une série de troubles du comportement qui m’interrogèrent. Je découvris son hyper-sensorialité qui percevait tout de mes états intérieurs (fatigue, contrariétés, colère refoulée...). Il ne voulait pas avoir à les subir par la transmission tactile. Depuis, je lui demande si je peux établir ce contact, parfois il dit oui, parfois non et je vous avoue que dans ce cas, je me penche sur “qui je suis à ce moment là” ! Il me donne la possibilité de me considérer en faisant une pause ou de prendre la décision de régler une divergence avec autrui. C’est que l’honnêteté, c’est contagieux !

Depuis plus de 20 ans que je suis à leur côté, je me demande qui a été enseigné par qui ?

À leur contact, j’ai appris la simplicité d’être. Ils ont fait naître chez moi la chercheuse créant des “outils passerelles” entre nos deux mondes. Ils m’ont permis de développer une acuité d’observation cognitive pour mieux les comprendre mais aussi mieux comprendre beaucoup d’autres enfants porteurs de troubles cognitifs. Enfin, ils me rééduquent à écouter mes besoins de l’instant : changer de posture quand je sens une tension corporelle, m’asseoir à côté d’eux au lieu de courir de l’un à l’autre, changer mon programme pédagogique quand j’en ai trop prévu, prendre une pause silence pour me recentrer, déguster une minute à être ensemble…

Ce qui m’apparaît le plus précieux , aujourd’hui, est d’avoir une vie conforme à l’essence de mon être plutôt qu’à la normalité socio-culturelle. C’est par cette conformité avec l’essence de mon être que je contribuerai à exercer mon rôle dans l’évolution de la norme socio-culturelle qui n’a rien de figée : ce serait triste ! Je me plais à écouter mon intuition qui me porte à croire en cette richesse qui participe à nous rendre meilleur les uns, les autres.